La Filles Qui Lâchait Des Bombes Et Des fleurs
Beaucoup pensent que la fille qui lâche des bombes et des fleurs choisit les endroits qu’elle préfère pour lâcher ses fleurs et ceux qu’elle déteste, parce qu’il s’y trouve des gens qu’elle n’aime pas, pour lâcher ses bombes.
C’est qu’on a remarqué que ses fleurs tombaient dans des lieux trop particuliers pour que ce soit un hasard.
Sur le gazon des parcs, alors qu’on s’y promène et qu’on y mange ; sur les tables des jardins privés alors que les familles et leurs hôtes s’apprêtent à s’y asseoir pour déjeuner ; aux bords des chemins de campagne, où les quelques fleurs qui ne sont pas endommagées par la chute ont poussé et forment de véritables haies ; aux flans des montagnes, où des traits et couronnes de fleurs rivalisent de couleurs et de formes ; aux pourtours des vallées ; et même sur les tentes et sur les fruits des primeurs dans les marchés en plein air.
Pas un endroit où la présence de ses fleurs serait souhaitable sans qu’on les y trouve, comme si le désir de les y voir les y faisait tomber ; pas de lieu où la présence de ses fleurs choquerait, ou du moins étonnerait, sans qu’on les y aperçoit, comme si le fait même de ne pas s’y attendre les y attirait.
Quant à ses bombes, on a vu qu’ils tombaient partout, sauf là où ses fleurs sont déjà tombées. On en a conclu que la sotte là haut croit que toutes ses fleurs ont poussé et essaie d’éviter de les détruire.
Certains disent d’ailleurs que les bombes ne servent qu’à préparer le terrain pour les lâchées de fleurs. Car on a vu beaucoup de cratères creusés par des bombes recevoir des tombées de fleurs, et se transformer ainsi en immenses bouquets naturels, comme des pots de fleurs géants dont le bas serait enfoncé dans le sol.
Les gens se rassemblent autour de ces plans fleuris pour d’agréables repas et promenades entre amis. On sait que des bombes ne risquent plus d’y tomber parce qu’il s’y trouve des fleurs.
Certains, ne supportant pas de voir des lieux où leurs proches ont été tués par des bombes devenir des aires d’agrément, refusent de s’y rendre même quand leurs amis y vont et les invitent.
Certains de ces gens endeuillés par les tombées de bombes vont jusqu’à arracher les fleurs, pour détruire la beauté de ces bouquets naturels. On s’en réjouit trop à leur goût, et on oublie ceux qui y sont morts sous des bombes.
Au début, ils y allaient avec les mains, mais ces cratères sont trop grands. Ils se fatiguaient sans réussir à détruire suffisamment de fleurs pour gâcher l’harmonie de l’ensemble. De plus, les fleurs de la fille qui lâche des bombes et des fleurs sont tenaces ; elles sont dures à arracher et repoussent très vite s’il leur reste un bout de racine dans le sol.
Ils viennent donc maintenant avec des outils d’arrachage massif : faux, pics, pelles. Ils sarclent souvent pendant la nuit. Parfois le petit jour les surprend sans qu’ils aient fini de détruire tout le bouquet.
Ils ne se défendent pas quand on les arrête, ils en profitent pour traiter la fille qui lâche des bombes et des fleurs de tous les noms.
Mais leur crime est grave parce qu’à cause de ces arrachages des bombes pourraient retomber à ces mêmes endroits et tuer des gens.
On a vu plusieurs cas où des lieux dont on avait arraché des fleurs ont reçu des nouvelles bombes après quelques temps. Beaucoup de lieux qui seraient maintenant sûrs restent dangereux à cause de ces arrachages de fleurs.
On pense qu’un jour le monde sera tellement couvert de fleurs de la fille qui lâche des bombes et des fleurs qu’il n’y aura plus de place pour lâcher des bombes. Mais la venue de ce jour est retardée par ceux qui détruisent les cratères de fleurs.
Personne ne sait pourquoi cette fille lâche des bombes et des fleurs. On sait juste que chaque lâchée de bombes est suivie d’une lâchée de fleurs.
Certains pensent donc que ce ne sont pas les bombes qui servent à creuser des cratères, à préparer le terrain pour la plantation des fleurs, mais les fleurs qui sont envoyées pour orner les funérailles des probables victimes des bombes.
Quant à la fille qui lâche des bombes et des fleurs, elle ne sait rien de tous ces débats.
Elle voit juste des bombes naître de sa main droite. Elle doit vite les lâcher, car les bombes explosent moins de vingt minutes après leur parution. Elle doit les lâcher pour ne pas exploser avec.
Elle essaie le plus possible de s’éloigner des lieux habités avant d’être obligée de les laisser tomber. Mais le problème c’est que de l’autre côté, dans sa paume gauche, des fleurs naissent. Et elle ne peut choisir où les lâcher.
Dès que la bombe de la droite est tombée, elle sent sa paume gauche la démanger. Et cette main la tire avec une force irrésistible vers le lieu où les fleurs naissantes doivent être jetées. Et ce sont en général des lieux habités.
Et comme les bombes de sa main droite apparaissent quelques secondes après la tombée des fleurs, la pauvre fille doit se dépêcher de s’éloigner de ces lieux très peuplés avant d’être obligée de lâcher ses bombes.
En moins de vingt minutes, elle n’arrive pas toujours à s’éloigner assez. Parfois elle voit des endroits où il n’y a rien ni personne, sauf des fleurs lâchée auparavant. Elle essaie d’y lâcher des bombes, mais celles-ci refusent d’y tomber et restent collées à sa main. Elle doit parfois laisser ses bombes tomber sur des maisons habitées alors que juste à côté se trouvent des parterres de fleurs où il n’y a personne.
Ces fleurs occupent de plus en plus de place dans le monde. Il n’y aura bientôt plus de place libre pour jeter les bombes.
Quand ce moment arrivera, la fille qui lâche des bombes et des fleurs ne pourra pas se débarrasser des bombes . Elle explosera.
Et les bombes qui naissaient dans sa main droite devront apparaître partout ailleurs dans le monde. Et, après vingt minutes, ils exploseront.