Vie et œuvre du géant d’argile

 

 

La misère de ce village préhistorique était déjà presque totale quand le géant d’argile tomba du ciel.

Sa chute causa une véritable catastrophe, avec plus d’une dizaine de morts, une centaine de blessés  et plein de maisons détruites.

De plus, la montagne qui bordait le village trembla avec tant de force que des grosses pierres se mirent à en descendre en roulant à toute allure vers le bas.

 

Le géant d’argile se leva et les arrêta de son corps et de ses bras. Le tas de pierres était si énorme qu’il suffisait pour la reconstruction des maisons détruites.

Le géant déchu se mit tout de suite à reconstruire le village de ses propres mains. Sa force titanesque lui permettait de déplacer de très gros blocs de pierres.

 

Il reconstruisit les maisons endommagées en plus solide.

Il s’occupa ensuite du village lui-même.

Il ordonna les différents éléments en canalisant leurs forces pour les mettre aux services des villageois. Il fit des barrages pour canaliser les eaux, des moulins avec la force du vent; il creva même la montagne en y traçant une large route.

 

Les villageois remarquèrent tout de suite qu’une espèce de sueur d’argile surabondante tombait du géant qui les sauvait. Ils découvrirent ensuite que cette argile était un très puissant fertilisant. La végétation proliférait avec une vigueur surprenant là où cette argile tombait.

 

Tout le monde au village se mit à tendre des récipients pour recueillir ce très puissant engrais jaune. Il faisait pousser les fruits et les légumes beaucoup plus vite et les rendait beaucoup plus grands.

On aurait dit que la boue d’argile qui tombait de ce géant essayait de rendre les végétaux aussi géants que le géant dont elle était tombée.

 

On vit donc la faim et la misère disparaître du village en quelques semaines. Ce fut même bientôt l’abondance qui s’installa. On dut même aller vendre au loin les fruits et les légumes qu’on produisait en trop.

Les riches marchands du village se réjouissaient toujours quand, sur le chemin du retour, ils apercevaient la silhouette amicale du géant d’argile.

C’était pour eux l’image même, le symbole de leur toute nouvelle prospérité.

 

C’est pour cela que ces riches commerçants furent les premiers à remarquer ce qui arrivait à leur ami au corps d’argile: sa silhouette gigantesque leur paraissait de plus en plus petite.

Ils refusèrent d’abord d’y croire, surtout que cette mauvaise nouvelle pouvait contenir une nouvelle bien pire encore pour l’avenir : jusqu’où ce rapetissement pouvait-il aller ?

On préférait ne pas y songer.

 

Ils voulaient même douter de l’amoindrissement du géant. Ils se dirent qu’ils pouvaient avoir mal estimé sa taille jusque-là, qu’ils avaient sans doute exagéré celle-ci en imagination.

 

Mais ces doutes rassurants durent céder à la certitude quelques semaines plus tard.

Ces marchands durent admettre qu’on voyait une bien plus grosse partie de la montagne devant lequel le géant s’asseyait et sur lequel il se posait le dos quand il était au repos.

Ils laissèrent quand même passer quelques semaines de plus pour être tout à fait sûrs.

Ces marchands durent ensuite annoncer la mauvaise nouvelle à tout le village.

 

 

Les villageois comprirent alors ce qu’était vraiment cette argile fertilisante qui avait fait sa richesse: la sueur du géant, qui ruisselait à chaque effort qu’il faisait, était l’argile même dont son corps était fait.

Ce titan d’argile se dépensait littéralement. Chaque action, chaque effort qu’il faisait, le faisait suer; sauf que quand cette sueur tombait c’était une partie de son être qui s’en allait.

Le géant rapetissait, c’était maintenant une certitude vérifiée.

 

Le village eut ensuite une nouvelle bien pire encore: le titan d’argile rapetissait de plus en plus vite. Car plus il était petit, plus ça lui coûtait d’efforts pour accomplir les mêmes travaux. Et plus ses efforts s’intensifiaient, plus il sueur.

Son corps fondait donc de plus en plus vite.

Certains villageois eurent l’idée de ramasser les goutes de boue argileuse qui tombaient du géant et de les recoller sur son corps.

Ça ne marcha pas ; ce qui était tombé du corps du géant ne pouvait plus refaire partie de lui.

 

le village dut donc se résigner à voir le géant d’argile devenir de plus en plus petit.

Il fut même bientôt d’une taille humaine tout à fait normale. Et il continuait à se dépenser en divers travaux d’amélioration de la vie des villageois.

Ce fut lui qui creusa un trou pour conserver le trop d’argile fertile qui était tombée de lui et que les villageois n’utilisaient pas encore.

Tous les champs autour du village étaient prospères et luxuriants, mais on ne pouvait pas laisser l’argile fertile qu’on n’utilisait pas se dessécher et partir en poussière. Il faillait préserver cet engrais puissant quelque part. 

 

La construction de cette réserve fut paradoxalement le moment où le géant d’argile devint plus petit qu’un homme moyen. Il était presqu’un nain quand il finit ce travail.

 

Tous les villageois furent choqués de le voir dans ce nouvel état. Ils tinrent conseil et décidèrent qu’il fallait empêcher leur ami d’argile de s’adonner à ses travaux habituels.

 

Mais le forçat d’argile ne put se contraindre à rester inactif très longtemps. Il se remit au travail après quelques heures de repos. Il profita de la nuit pour s’éloigner un peu du village. Il alla faire des travaux de terrassement pour agrandir la surface agricole.

Il répandit lui-même l’argile qui tombait de son corps pour fertiliser ce nouveau champ.

 

Des villageois partirent vite à sa recherche quand on comprit qu’il s’était éloigné pour continuer à se dépenser pour le village.

 

Les groupes de recherche mirent des heures à fouiller les alentours. Le petit être d’argile était maintenant si petit qu’il était devenu très difficile de le voir de loin.

Ce fut la remarque qu’il y avait un tout nouveau terrain arable qui fit comprendre où il était.

 

Quand on arriva enfin à le percevoir tout petit au sol, on accéléra en courant vers lui aussi vite qu’on pouvait.

Mais il versa ses dernières gouttes de sueur avant qu’on pût l’atteindre.